1°) Pourquoi "interroger" de l'intérieur une université aujourd'hui, qu'avez-vous choisi de "souligner" par votre résidence ? Que projetiez-vous d'interpeller avant même votre arrivée ?

Il y a autant de raisons d'interroger l'université que de personnes dans notre équipe, et nous sommes sept.
Il y a le souvenir de nos propres études, pour ceux qui sont allés à l'université, et les préjugés que nous pouvions avoir sur celle-ci : la circulation des savoirs et le travail en équipe, l'enseignement supérieur ouvert à tous, la recherche à la pointe de la connaissance, la passion des chercheurs et l'incongruité de leurs sujets d'étude, la taille des campus, parfois remplis, parfois déserts, mais aussi l'énormité de la machine institutionnelle, les relations de pouvoirs à l'intérieur de la hiérarchie, un certain cloisonnement des choses, et puis la lâcheté du temps, l'ennui, la solitude de l'individu dans un contexte aussi grand (les espaces, les amphis, les UFR, les couloirs).
Surtout, nous avons tous les sept ce point commun d'être très curieux des disciplines que nous ne pratiquons pas, des personnes qui y travaillent, des méthodes et des éléments que nous pouvons y glaner pour fabriquer nos propres formes et questionnements. Nos pratiques investissent les autres savoirs : anthropologie, mécanique, chimie, littérature, géographie, archéologie, médecine, histoire, sociologie, etc. Nous aimons découvrir.

De plus, les occasions de travailler tous ensemble, à sept, ne sont pas légion, et là, même si nous avons accepté de partager l'argent prévu pour un seul artiste, le contexte, son étendue, son hétérogénéité, se prêtait vraiment à un travail d'équipe.

Voilà pour ce que nous projetions d'interpeller à notre arrivée, ce que nous voulions souligner, et je trouve que ça répond aussi à la question du pourquoi interroger une université. Mais étions-nous à l'intérieur de cette université ? Qui est à l'intérieur de l'université ? Où est cet endroit ? Qui est dedans, qui est dehors ? Lou Galopa était dans une situation un peu particulière : elle a passé trois mois en continu dans les murs, à suivre des cours différents – et donc à ne pas se cantonner à une seule UFR. Elle, a eu la sensation d'être vraiment au cœur des rouages, de parcourir une machine.

2°) Quel a été votre lien avec le différents acteurs de l'université, avez-vous pu ressentir une implication, une participation des enseignants, personnels et étudiants ?

Oui, les personnels, les enseignants et les étudiants se sont clairement impliqués. Ce n'est pas une implication de masse, mais plutôt une somme de rencontres individuelles qui ont chacune leur raison et leur ambiance. Des pointillés, plutôt que de grands aplats identifiables. Ça échappe bien au contrôle et à la systématisation, on ne peut pas le modéliser, je pense.
Nous avions créé un certain nombre de cadres pour aller à la rencontre des autres, des projets (le témoin, l'atelier comestible, l'atelier de poésie vernaculaire, les éloges et les diatribes, universitarium, la voûte septine, les questions brûlantes, etc.), mais il y a eu aussi toutes ces rencontres qui sortent des cadres stricts des projets, et qui sont souvent plus légères, ouvertes, parce que non contraintes par un objectif mais tout aussi profondes : les gens qui discutaient pendant que nous peignions la voûte septine, en sciences, les concierges, les dames du CROUS, le PAM, les cuisiniers, etc. Et ça, ça a bien fonctionné : nous travaillions à une chose dans un lieu ou d'autres gens travaillent à d'autres choses, cette juxtaposition crée des frictions, des rencontres de curiosité réciproque que nous apprécions et recherchons.

La rencontre, la confrontation des idées (recherche scientifique de type universitaire et recherche artistique) est-elle pertinente ?

Oui, bien sûr. Mais c'était compliqué. Quand nous faisions des recherches sur les chercheurs, les chercheurs se mettaient à faire de la recherche sur nous qui recherchions sur eux. Combien de volutes a cette spirale ?

3°) Le contexte actuel (restructuration, élections, etc…) a-t-il influé sur le travail artistique que vous imaginiez avant votre arrivée ?

Il semble que les enjeux placés dans notre résidence n'aient pas été les mêmes d'un côté et de l'autre (de la part de l'université et de notre part), et cela a freiné et modifié notre travail. Ce décalage, entre un commanditaire et les artistes, n'est pas toujours aussi prégnant. Il s'est beaucoup révélé dans la communication faite sur le projet, que nous avons du mal à reconnaître comme notre.
Peut-être justement que ces enjeux, côté université, étaient fortement influencés par le contexte de restructuration et d'élection ? – il nous semblait qu'il y avait une forte revendication et un besoin de reconnaissance des valeurs de l'université, de sa capacité à innover, à être un acteur culturel de premier plan. Nous, nous étions dans l'idée de représenter, de créer une image, sans la charger de manifester telle ou telle revendication. Nous avons tenté de scruter le réel, pas de porter un message.
Pour moi, l'université porte un message à travers interim non pas quand nous parlons de ci ou de ça, non pas dans les contenus, mais dans la dynamique, dans la possibilité même de faire exister notre travail. L'université travaille à l'émergence d'un certain art contemporain, point. De la part du service culture, c'était en effet une prise de risque que de nous engager : nous sommes dans la création de processus et non d'objets, dans l'éphémère et non dans le pérenne, nous sommes désordonnés (ou ordonnés mais à notre manière), obstinés, non hiérarchisés, nous travaillons dans l'urgence, nous ne parlons pas facilement d'une seule voix, nous ne comprenons ce que nous faisons qu'en le faisant.
Être marqués du sceau des célébrations du cinquantenaire nous a autant fermé de portes que ça nous en a ouvert. Voilà le type de choses que nous avons entendues : « quoi, vous voulez qu'on participe à la célébration de l'université, une célébration, qui plus est, onéreuse, alors qu'on est en train d'opérer des coupes sombres dans les budgets et alors que pèsent des logiques d'évaluation de plus en plus pénibles ? ». C'est face à cette réalité que le discours d'ouverture de la cérémonie est né.

Avez-vous eu assez de temps "en immersion" pour cerner un propos opportun, formuler les questions qui vous intéressaient ?

Lou Galopa a su se donner le temps d'une réelle immersion pour son projet Tous Azimuts. Pour les autres, nous avons dû plonger en fonction du temps dont nous disposions.

4°) Votre regard sur l'enseignement supérieur a-t-il évolué à l'issue des réflexions de votre résidence artistique ?

Oui pour certains, non pour d'autres.

 

Marie Bouts pour l'équipe INTERIM